Dans l’arsenal des techniques de la permaculture, il y a des terrassements. Sepp Holzer ou bien Geoff Lawton n’hésitent pas à utiliser les grands moyens (en forme d’engin de chantier jaunes et malodorants, chaussés de chenillettes) pour façonner le terrain. L’objectif principal est de retenir l’eau ou simplement de ralentir son écoulement en créant des reliefs qui l’incitent à s’attarder, faire des détours, s’infliltrer.
Je reste assez critique vis-à-vis de l’utilisation des grands moyens, et je vous raconterai bientôt comment j’ai creusé à la grelinette une noue de récupération des eaux de ruissellement de vingt mètres de long sur un mètre creux-à-crête. Ma philosophie personnelle, c’est que si le travail de terrassement qu’on envisage constitue vraiment un investissement long terme de grande valeur pour le terrain, la vie du sol, le cycle de l’eau, la biodiversité, alors l’investissement sera rentable, même à la main. Rappelons que le Canal du Midi a été creusé sans tractopelle ni dynamite.
La sainte trinité du bestiaire du terrassier permaculteur, c’est le bassin (dam/pond), la terrasse (terrace), et la noue (swale). Pour tous ces travaux qui jouent avec l’eau, la maîtrise des niveaux est primordiale. Le film de Geoff Lawton montre très bien la longue phase de préparation où il faut se familiariser avec les courbes du terrain, et les mesurer patiemment avec un niveau optique ou un niveau laser puis les marquer avec des pieux.
Seulement voilà, je n’ai pas l’intention de m’équiper comme un géomètre.
Sommaire
Ingrédients d’un niveau à eau
- Deux bouteilles d’eau minérale vides
- Un bout de tuyau d’arrosage (5 à 10m de long suivant les dimensions du terrain)
- Deux tous petits élastiques
- Deux liteaux d’environ 1m50
- Un liteau d’environ 1m
- Un colorant quelconque (du jus de mûre, par exemple)
- Du scotch
- Un marqueur indélébile
- Un cutter
- Un clou chauffé ou un foret de très petit diamètre
- Deux serre-joints, ou deux écrous papillon
- Pour les mesures : un ami ou un piquet
Instructions de montage
- Scotchez une bouteille le long de chaque liteau, de façon que le cul de la bouteille corresponde à l’extrémité du liteau, et en prenant soin qu’en posant les deux liteaux par terre sur un sol plat, les deux goulots des bouteilles se retrouvent exactement à la même hauteur.
- Sertissez les extrémités du tuyau d’arrosage dans chacun des goulots. Au besoin, utilisez les petits élastiques entre le tuyau et le goulot, pour faire joint d’étanchéité.
- Scotchez le tuyau d’arrosage sur le goulot, ainsi qu’en deux hauteurs sur le liteau, de façon qu’aucune manipulation des liteaux ne vienne forcer sur le joint tuyau-goulot
- Découpez au cutter un trou de la taille d’une pièce d’un euro au centre du cul de l’une des deux bouteilles. C’est par ce trou que vous remplirez d’eau (avec un entonnoir si besoin).
- Percez une zone lisse et plate du cul de l’autre bouteille avec un clou chauffé (ou un foret de très petit diamètre, genre 3mm). C’est par ce trou que s’échappera l’air quand s’établira le niveau.
- Tracez dans l’une des rainures de chaque bouteille — la même sur chaque bouteille — un trait avec le marqueur, pour servir de graduation ‘de référence’
- En tenant les deux liteaux bien verticaux et les deux bouteilles côte à côte, remplissez d’eau colorée par le trou de la première bouteille, jusqu’à ce que le niveau atteigne la graduation des deux côtés. Attention de bien chasser toutes les bulles du tuyau
Utilisation
Pour mesurer une courbe de niveau, utilisez votre ami ou votre piquet et vos serre-joints pour tenir assez verticalement celui des deux liteaux dont la bouteille a le gros trou, l’extremité inférieure du liteau touchant l’endroit de votre terrain qui fera la référence de niveau. L’ami ou le piquet ne doivent plus bouger.
De votre côté, déplacez-vous loin (mais sans tendre le tuyau), à un endroit que vous estimez au même niveau que le point de référence. En vous déplaçant, gardez votre piquet vertical, et utilisez un doigt pour boucher le petit trou. Si vous ne bouchez pas le trou et que vous tenez la bouteille trop basse par rapport à sa consoeur, de l’eau giclera par le trou ; si vous la tenez trop haute, de l’eau débordera par le trou de ladite consoeur. Et il faudra compléter le remplissage. Donc bouchez le trou quand vous vous déplacez.
Quand vous pensez être au bon endroit, enlevez votre doigt et regardez le niveau s’établir à mesure que l’air s’échappe ou s’insinue par le trou. Si le trou est un peu gros, on peut utiliser le doigt pour réduire l’ouverture et limiter les oscillations du niveau en train de s’établir. Si le niveau monte trop ou descend trop, c’est que vous n’avez pas le compas dans l’oeil. Rebouchez le trou avant que ça déborde et trouvez un endroit au moins cinq centimètres plus élevé ou plus bas. Si le niveau s’établit au-dessus ou en-dessous de la graduation, il faut savoir que l’erreur de niveau est le double de l’écart constaté.
En tâtonnant, vous devriez trouver un point pour lequel le niveau, une fois calmé, correspond exactement à la graduation au marqueur sur les deux bouteilles. Attention : s’il est sur la graduation d’une bouteille mais pas de l’autre, c’est que vous avez eu des fuites ou des bulles. Tout sera faux tant que vous n’aurez pas complété le remplissage.
Répétez l’opération en essayant de garder le piquet de référence le plus longtemps possible au même endroit, pour éviter l’accumulation d’erreurs dès que l’on procède de proche en proche. A chaque fois que vous avez un point de niveau, notez-le avec de la craie, une bombe de peinture, un pieu, ou tout autre moyen de votre choix.
Pour trouver une autre courbe de niveau, par exemple plus haute ou plus basse de cinquante centimètres, ajoutez cinquante centimètres au liteau de référence, ou bien au liteau de mesure respectivement (au moyen d’une rallonge de liteau qu’on solidarisera au liteau soit avec des écrous papillon, soit avec des serre-joints, soit à la main). Sans oublier de boucher le trou avec le doigt, trouvez un point qui mette les deux niveaux d’accord. Ce point devient alors la nouvelle référence. Retirez la rallonge et recommencez comme pour la première courbe de niveau.
Les avantages du niveau à eau par rapport au théodolite ou au laser
- C’est moins cher
- Ca marche sans piles
- Ca marche même dans une forêt touffue ou derrière le coin d’une construction, quand on n’a pas de ligne de visée
- Une fois le relevé effectué, on peut jeter les bouteilles, recycler les liteaux, et remettre le tuyau en service
Les inconvénients du niveau à eau
- Ca fuit
- Ca oscille avant de donner un résultat
- C’est lourd quand on a dix mètres de tuyau plein d’eau à traîner dans la broussaille
- C’est inopérant par grand froid, à moins de rajouter de l’antigel
C’est une technique vraiment très ingénieuse dont je n’avais jamais entendu parler ! Merci pour le partage !