Heureusement que ce n’est à faire qu’une fois…
Ils ont mis du temps à me convaincre. Je veux parler des partisans de la biointensive ou des jardiniers synergétiques, au premier rang desquels les jardiniers du Sens de l’Humus. Je veux parler des buttes en double-bêchage. Au-delà de ma réticence viscérale envers tout travail évitable, j’avais des scrupules : la technique ressemble beaucoup aux méthodes d’antan où l’on luttait constamment contre la nature au lieu de la caresser dans le sens du poil. On perturbe toute la faune, on remue, on casse les mottes, on retourne. Bref, c’est contre-intuitif par rapport aux principes de l’agriculture naturelle. En plus, ce n’est pas compatible avec mes rotations de tracteur à poules, puisqu’il n’est pas possible de faire grimper ledit tracteur sur une butte.
Mais contre mes scrupules, ils avaient des arguments :
- ça fait moins à se baisser ;
- ça n’est à faire qu’une seule fois ;
- ça augmente l’épaisseur de terre utile pour mon sol peu profond ;
- ça favorise le drainage dans ma terre argileuse et ma région à orages ;
- ça permet de faire en une saison ce que la nature aurait mis des années à accomplir.
Alors je me suis dit que j’allais essayer. Et en plus, en lisant mieux les petits caractères, j’ai vu que ce n’est pas vraiment un double-bêchage — seule la première épaisseur est vraiment retournée. La seconde épaisseur n’est que décompactée sur place.
Sommaire
Le plan
Je me suis mis à l’ancien emplacement du tas de bois de chauffage. Une zone orientée Est-Ouest de dix mètres par trois, protégée au Nord par l’alignement que forment le mur de l’atelier, un tas de vieux bois pourris issus du ‘démontage’ de la charpente et un muret correspondant à la maison en ruine de derrière chez nous. Les allées seront en travers de la légère pente Nord-Sud. Je trace mentalement le plan des allées et des buttes “a bisto de nas” (i.e. en utilisant un pifomètre), parce que je n’ai plus aucun complexe. La nature s’en sortait très bien avant l’invention du cordeau. A noter que le tas de bois avait pris le soin de désherber, donc à part le liseron, il n’y avait rien à retirer.
Le bêchage
Je me suis basé sur l’un de ces jolis croquis de principe, mais j’ai essayé d’innover concernant le traitement des allées. Je voulais commencer par les allées, plutôt que de les pratiquer à la fin. En effet, comme je creuse les allées profond, je voulais éviter de finir en sortant la glaise du fond qu’il m’aurait alors fallu remettre par dessus la terre de surface sur le haut de la butte. Le procédé d’ensemble est assez confus, donc je préfère ne pas vous le décrire. Pour les prochaines buttes, je tâcherai de rationaliser l’approche, et j’aurai des photos. La seule chose importante, c’est que j’ai utilisé une fourche-bêche plutôt qu’une bêche, par pitié pour les vers. Et pour décompacter la couche profonde, j’ai utilisé la pioche, puisque je n’ai toujours pas de grelinette. C’était donc bien physique, version paysan rouergat d’avant le viaduc du Viaur.
Les allées
J’ai creusé les allées assez profond, presque jusqu’à la roche. Pour empêcher la terre de trop retomber vers les allées, j’ai utilisé des planches de peuplier qui avaient servi d’échafaudage au chantier, que j’ai retenues par des piquets de bois enfoncés au marteau.
Dans les allées, j’ai mis une couche de carton et par-dessus, des chutes d’écorces et de bois d’aubier, issues de l’ancien tas de bois, et qu’il me fallait recaser. Ainsi, je n’aurai pas les pieds boueux quand il pleuvra. Par contre, c’est assez incitatif pour les limaces. Espérons que la proximité d’espaces très sauvages –la maison en ruine derrière chez moi est une vraie jungle– abrite assez de prédateurs de limaces. Espérons aussi que la mousson s’arrêtera bientôt ; pour l’instant, le climat donne l’impression d’être vendu au lobby des gastéropodes.
La plantation
A peine la première butte finie, je l’ai ensemencée avec maïs, haricot et concombres. C’est une technique d’Amérique Centrale : le maïs sert de tuteur au haricot, qui lui donne de l’azote, tandis que les courges font couvre-sol. En somme une technique millénaire de permaculture.
J’ai utilisé le même procédé qu’avec mes graines de radis : je fais prégermer les semences dans un peu d’eau, et quand le germe pointe le bout de son nez (au bout de quelques jours suivant les graines), je les sème à la main dans un sillon.
L’irrigation goutte-à-goutte
Pour bien faire et ne pas y revenir même en cas de canicule, j’ai installé un tuyau goutte-à-goutte. A cette occasion, j’ai découvert une technique intéressante pour maintenir le tuyau plaqué au sol. Plutôt que de le faire courir droit et le tenir avec d’inefficaces sardines ou des lauzes (recettes précédentes), je me contente de le faire zigzaguer entre de bêtes pieux. Le zigzag le maintient en tension, et il reste coincé contre les pieux et plaque correctement au sol. En plus, le zigzag permet d’augmenter le nombre de trous au mètre carré, ce qui revient peu ou prou à réduire l’écartement apparent sans augmenter le nombre de tuyaux. Le mien fait simplement un aller-retour sur la butte, ce qui économise les embouts de type coude ou té. En plus, ça fait un joli motif ondulé qui augmente mon karma de permaculture.
Le paillage
Par-dessus le tout, cinq centimètres d’épaisseur de foin sec, que je compléterai quand les plantes montreront leurs feuilles. La deuxième butte, quand à elle, n’a pas reçu de semences, et je l’ai mise en attente avec du carton, dix centimètres de foin, et des bouts de bois par dessus pour tenir le tout.
Le maïs montre son nez
Une semaine plus tard, on voit déjà les pousses de maïs. On croise les doigts pour qu’elles gagnent la bataille des limaces. De haricots ou de concombres, point. Soit ils attendent que ça se réchauffe, soit les plants se font brouter à mesure qu’ils grandissent.