En réponse à une relative prise de conscience aux conséquences écologiques de l’économie, la durabilité est un concept devenant de plus en plus mainstream. Parrallèlement, en réponse à l’apparition dans le paysage de la culture de masse de l’intérêt pour l’environnement, les marketers y voient l’ouverture d’un nouveau marché cible. Si bien que les termes environnement et développement durable se hissent de plus en plus haut dans les énoncés de priorités de la plupart des compagnies, institutions, gouvernements et partis politiques de ce monde, la plupart du temps utilisant comme excuse de bien maigres changements pour rendre leurs pratiques légèrement moins sales.
Rendons-nous à l’évidence: ce n’est pas parce qu’on gaspille ou pollue un tout petit peu moins (ex: les sacs jetables biodégradables) que l’on est pour autant devenu « vert » ou « durable ». Je ne veux pas me lancer dans une couverture du greenwashing mais plutôt discuter de ce qu’implique la notion de durabilité.
Le contenu que je présenterai ici est inspiré d’un essai intitulé « Five axioms of sustainability » du prolifique auteur Richard Heinberg, qui a une vision selon moi assez complète et lucide de l’économie des ressources.
Le concept de soutenabilité a d’abord vu le jour en occident pour s’appliquer dans des situations d’exploitation de ressources renouvelables à petite échelle, à des moments où on s’est rendu compte que pour que l’exploitation ait une continuité soutenable, il fallait ajuster le rythme d’extraction à celui du renouvellement.
La notion de durabilité s’est ensuite largement répendue avec le rapport Brundtland de la Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement. Ce rapport a défini le concept de développement durable comme « du développement qui répond aux besoin de la génération présente sans compromettre l’habilité des générations futures de répondre à leurs propres besoins ». À noter que la première partie de cette définition fait référence à une réponse adéquate aux besoins actuels, de sorte que le développement durable défini ainsi implique un certain niveau de bien-être, d’équité et de justice dans la société d’aujourd’hui! Cette définition, quoique habile, est quand même vague et inquantifiable. Par exemple, on peut comprendre qu’avec une croissance actuelle de la consommation des ressources non renouvelables de la planète ainsi qu’une croissance démographique ne pourront pas être maintenues indéfiniment.
Le concept d’empreinte écologique est venue en 1992 avec l’écologiste canadien William Rees. Il fait référence à la superficie de terre et d’eau dont une population (ou même une personne) aurait hypothétiquement besoin pour fournir les ressources nécessaires à son support et à l’absorption de ses extrants, en fonction de la technologie en vigueur. En d’autres termes, c’est la quantité théorique d’espace planétaire utilisée par un ou des humains, dépendamment de leur niveau de consommation et de technologie. Cela implique que pour que l’économie de humanité soit durable, son empreinte écologique doit être égale ou inférieure à ce qui est disponible sur la planète. Le réseau Footprint Network calcule que l’empreinte écologique de l’humanité est en ce moment 23% plus grand que ce que la planète est capable de regénérer. Comment peut-on consommer plus que ce qui est disponible sur la planète? Direz-vous… Il ne faut pas oublier que la notion d’empreinte écologique implique la production soutenue (maintenue dans le temps) par la superficie donnée, ainsi que l’absorption des déchets et polluants. C’est donc dire qu’en ce moment, nous extractons les ressources de la planète plus rapidement qu’elles ne peuvent se renouveler, et nous accumulons les polluants beaucoup plus rapidement qu’ils sont absorbés.
Richard Heinberg a fait un travail remarquable d’essayer de clarifier la notion de soutenabilité, ou du moins d’en suggérer des critères, sous forme de cinq axiomes. Il a fait l’effort de tenir compte des définitions précédentes de la soutenabilité, ainsi que de leurs critiques. En outre, ses critères sont les suivants:
- Être vérifiable par la méthodologie de la science;
- Minimaliser les axiomes et éviter les redondances;
- Que les axiomes soient suffisants et qu’ils ne laissent pas de « trous »;
- Qu’ils soient énoncés en termes simples, clairs et compréhensibles
Axiome 1
La croissance démographique et la croissance du niveau de consommation des ressources ne peuvent pas être soutenues indéfiniment.
La croissance a été soutenue jusqu’à maintenant. Pendant combien de temps encore pourrait-elle l’être? Même le plus petit taux de croissance, avec le temps, se traduit en taille astronomique de croissance et de population. Une croissance démographique annuelle de 1% équivaut à un dédoublement de la population chaque 70 ans, de sorte qu’on serait plus de 13,5 milliards en 2075, 27 milliards en 2150 et en 3000 nous serions 130 000 millions. 50 ans plus tard, il y aurait en moyenne un être humain par mêtre carré de la surface terrestre, incluant les montagnes et les déserts.
Axiome 2
Une société qui continue d’utiliser des ressources critiques de façon insoutenable va tôt ou tard s’effondrer.
L’exception à ça est qu’une société peut éviter l’effondrement en trouvant des ressources de remplacement.
Mais il y a une limite à l’exception dans un monde fini (aux ressources limitées), le nombre de remplacements possibles est aussi limité
Dans The collapse of complex societies, Joseph Tainter argumente que l’effondrement est une fatalité fréquente des sociétés complexes. L’effondrement est directement relié à la diminution des retours sur les efforts mis à supporter la croissance avec de l’énergie extrasomatique. D’autres auteurs étudiant les sociétés passées font état de ce que l’effondrement est le résultat commun des sociétés qui ignorent les contraintes de ressources.
Certains croient que les ressources sont substituables à l’infini, et qu’on n’aurait jamais à faire face à un épuisement, même en maintenant une croissance du niveau de consommation!
Les sociétés tendent à utiliser d’abord les substituts qui sont de valeurs supérieure et faciles à récolter, et au fur et à mesure qu’elles passent au travers, doivent dépendre de substituts de plus en plus inférieurs et difficiles à récolter.
Axiome 3
Pour être soutenable, l’extraction des ressources renouvelables doivent être ajustée à un niveau égal ou inférieur à celui du renouvellement naturel (ou assisté). En d’autres mots, consommer les ressources moins vite qu’elles ne se regénèrent. Le taux de regénération naturel n’est peut-être pas évident à déterminer, mais quand le stock de base diminue, on peut être certain que sa consommation est trop élevée. Même si le stock en question baisse à cause de facteurs naturels, le maintient de la pérénnité de cette ressource nécessite que l’on en laisse assez pour que sa destruction-consommation soit balancée avec sa regénération.
Ce que ça implique, c’est que pour avoir un maximum de ressources disponibles pour « créer les richesses » à long terme, il faut atteindre un niveau optimum d’extraction soutenable des écosystèmes productifs (forêts, stocks de poissons, terres agricoles) Pour avoir le meilleur possible taux d’extraction soutenable, il faut donc avoir le meilleur taux de regénération possible des ressources naturelles, et pour ce faire il faut maximiser le capital naturel, c’est à dire maintenir les stocks les plus gros possibles d’écosystèmes productifs, exploités de façon soutenable, c’est à dire « pas plus vite qu’ils ne se regénèrent ». Voilà pourquoi le façon d’optimiser la prospérité à long terme de la civilisation est d’ajuster radicalement et immédiatement notre niveau de consommation des ressources et se mettre en mode soutenable. L’autre chose que nous avons à notre disposition est la regénération assistée des écosystèmes. En prenant soins et en faisant un aménagement intelligent de nos écosystèmes productifs, nous maximiserons la création de richesses, et c’est la solution proposée par la permaculture.
Axiome 4
Pour être soutebable, la consommation d’une ressource non-renouvelables doit être en décroissance constante (soutenue), et leur taux de décroissance doit être égal au taux d’épuisement de la ressources. C’est le seul moyen d’éviter indéfiniment de se retrouver à bout de ressources, ou en période de crise d’approvisionnement parce que les sources sont de moins en moins facilement et économiquement récoltables.
Maintenant, du moment que l’on adopte ce protocole de maintient de ressource renouvelable, celà signifie que le taux de décroissance de l’extraction de ressource devrait en principe rester constant: si on ajuste la quantité extraite à la même proportion que l’extraction a affecté la ressource, l’extraction au cycle suivant affectera l’épuisement dans la même proportion. De sorte que pour rendre le tout plus facile, encore une fois le meilleur moyen est d’adopter immédiatement un protocole de consommation soutenable, parce que pour bénéficier d’un taux de décroissance de l’extraction le plus bas possible, il faut partir avec un stock de ressource le plus haut possible. Plus on attend, et plus le taux de croissance que nous devrons nous imposer pour maintenir nos ressources.
Axiome 5
La soutenabilité nécessite que les extrants (polluants) introduits adns l’environnement par les activités humaines soient minimisés et rendus inoffensifs aux fonctions de la biosphère. Autrement dit, diminuer la pollution jusqu’à la capacité d’absorption, qui est à l’équilibre quand il n’y a pas de dommage.
Dans les cas où la pollution dûe à l’extraction d’une ressource non-renouvelable qui a connu une grosse croissance pendant un certain temps menace la viabilité d’écosystèmes, la réduction dans les taux d’extraction et la consommation de ces ressources peut devoir être supérieure au taux d’épuisement. Normalement, si la consommation d’une ressource est faite au taux soutenable, sa pollution devrait également être en décroissance. Cependant, quand le niveau de pollution est tel qu’il détruit les écosystèmes de façon chronique, les mesures à prendre doivent être radicales puisque nous épuisons trop rapidement ces autres ressources. Cette réalité s’applique particulièrement dans le cas du charbon. Puisque ses réserves connues sont encore énormes, ajuster la décroissance de l’extraction au taux d’épuisement entraînerait quand même probablement une catastrophe climatique. Si l’on veut éviter les conséquences menaçant nos écosystèmes, la réduction des émissions du charbon doivent être importante, de sorte qu’il serait peut-être nécessaire que les réductions annuelles de l’extraction du charbon soient également plus importantes.
En conclusion
Des empires se sont effondrés. L’empire actuel de corporatocratie mondialisée ne porte aucune attention sérieuse à ses contraintes de ressources: elle abuse, gaspille, pille, . Plus que jamais, l’infrastructure économique entière de cet empire est dépendante d’une abondance temporaire d’énergie fossile. Le mieux qu’on peut faire ce ne serait pas d’essayer de raisonner l’empire, ralentir le crash, et se préparer à faire la transition vers le prochain paradigme de l’humanité?